LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 décembre 2019 par le Conseil d'État (décision n° 431724 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association Conseil national des centres commerciaux par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-830 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du e du 1° du paragraphe I et des paragraphes III et IV de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 6 janvier 2020 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour l'association requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 20 janvier 2020 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 mars 2020 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 11 mars 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le e du 1° du paragraphe I de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 novembre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit que, lorsqu'elle statue sur une demande d'autorisation d'exploitation commerciale, la commission départementale d'aménagement commercial prend en considération, en matière d'aménagement du territoire :
« La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ».
2. Les paragraphes III et IV de ce même article, dans cette même rédaction, prévoient :
« La commission se prononce au vu d'une analyse d'impact du projet, produite par le demandeur à l'appui de sa demande d'autorisation. Réalisée par un organisme indépendant habilité par le représentant de l'État dans le département, cette analyse évalue les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre, ainsi que sur l'emploi, en s'appuyant notamment sur l'évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires.
« Le demandeur d'une autorisation d'exploitation commerciale doit démontrer, dans l'analyse d'impact mentionnée au III, qu'aucune friche existante en centre-ville ne permet l'accueil du projet envisagé. En l'absence d'une telle friche, il doit démontrer qu'aucune friche existante en périphérie ne permet l'accueil du projet envisagé ».
3. Selon l'association requérante, ces dispositions méconnaîtraient la liberté d'entreprendre, en ce qu'elles subordonnent la délivrance de l'autorisation administrative d'exploitation commerciale à la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial des centres-villes de la commune d'implantation et des communes alentour. Il en irait de même des dispositions prévoyant que l'analyse d'impact, produite par le demandeur, évalue les effets du projet sur l'animation et le développement économique des centres-villes et sur l'emploi. Il en irait également ainsi des dispositions imposant que cette analyse d'impact établisse qu'aucune friche en centre-ville, ou à défaut, en périphérie, ne permet l'accueil de ce projet. Selon l'association requérante, aucun motif d'intérêt général ne permettrait de justifier ces différentes dispositions, qui poursuivraient, non une finalité d'aménagement du territoire, mais un objectif purement économique de protection des commerçants des centres-villes, en limitant l'implantation de grandes surfaces commerciales en périphérie des communes. En tout état de cause, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, dès lors que le territoire sur lequel les effets du projet doivent être appréciés serait trop large et que les critères retenus favoriseraient les opérateurs économiques déjà implantés au détriment des nouveaux entrants.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le e du 1° du paragraphe I de l'article L. 752-6 du code de commerce, sur les mots « sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre, ainsi que sur l'emploi, en s'appuyant notamment sur l'évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente » figurant à la seconde phrase du paragraphe III du même article et sur le paragraphe IV du même article.
5. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
6. En application de l'article L. 752-1 du code de commerce, certains projets d'exploitation commerciale sont soumis à autorisation administrative préalable. Cette autorisation, délivrée par la commission départementale d'aménagement commercial, est subordonnée à la conformité du projet aux objectifs énoncés par la loi, notamment à ceux d'aménagement du territoire, de protection de l'environnement et de qualité de l'urbanisme mentionnés à l'article L. 750-1 du même code. Selon cet article, ces projets « doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine. - Dans le cadre d'une concurrence loyale, ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés ».
7. En application du paragraphe I de l'article L. 752-6 du code de commerce, lorsqu'elle se prononce sur une demande d'autorisation, la commission départementale prend en considération plusieurs critères relatifs à l'aménagement du territoire, au développement durable et à la protection des consommateurs. Au nombre des critères ayant trait à l'aménagement du territoire, les dispositions contestées de ce paragraphe I mentionnent la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et des communes de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre. Par ailleurs, les dispositions contestées du paragraphe III du même article prévoient que l'analyse d'impact, produite à l'appui de la demande d'autorisation et réalisée par un organisme indépendant, comporte une évaluation des effets du projet sur l'animation et le développement économique de ces mêmes centres-villes ainsi que sur l'emploi, en s'appuyant notamment sur l'évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux existants dans la zone de chalandise pertinente. Enfin, en application du paragraphe IV du même article, le demandeur doit, dans cette analyse d'impact, établir qu'aucune friche en centre-ville ou, à défaut, en périphérie ne permet d'accueillir son projet.
8. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu renforcer le contrôle des commissions d'aménagement commercial sur la répartition territoriale des surfaces commerciales, afin de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
9. En second lieu, il appartient à la commission d'aménagement commercial, sous le contrôle du juge administratif, d'apprécier la conformité du projet qui lui est soumis aux objectifs énoncés au paragraphe 6, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Cette autorisation ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet compromet la réalisation de ces objectifs.
10. Or, d'une part, les dispositions contestées du paragraphe I, relatives à l'effet du projet sur la préservation ou la revitalisation du tissu commercial de certains centres-villes, se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire, et notamment sur le rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville. En particulier, elles ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes mentionnés par ces dispositions.
11. D'autre part, le paragraphe IV de l'article L. 752-6, relatif à l'existence d'une friche en centre-ville ou en périphérie, a également pour seul objet d'instituer un critère supplémentaire permettant d'évaluer si, compte tenu des autres critères, le projet compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Ces dispositions n'ont ainsi pas pour effet d'interdire toute délivrance d'une autorisation au seul motif qu'une telle friche existerait. Elles permettent en outre au demandeur de faire valoir les raisons, liées par exemple à la surface du commerce en cause, pour lesquelles les friches existantes ne permettent pas l'accueil de son projet.
12. Enfin, l'analyse d'impact prévue au paragraphe III de l'article L. 752-6 vise à faciliter l'appréciation, par la commission d'aménagement commercial, des effets du projet sur l'animation et le développement économique des centres-villes et sur l'emploi. En prévoyant que, à cette fin, cette analyse s'appuie notamment sur l'évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux existants dans la zone de chalandise pertinente, les dispositions contestées de ce paragraphe III n'instituent aucun critère d'évaluation supplémentaire.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par les dispositions contestées n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.
14. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le e du 1° du paragraphe I de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, les mots « sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre, ainsi que sur l'emploi, en s'appuyant notamment sur l'évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente » figurant à la seconde phrase du paragraphe III du même article et le paragraphe IV du même article, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 mars 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 12 mars 2020.